Formation et insertion
19 octobre 2021

Formateur, Frédéric Mutillod restaure des cathédrales et des hommes

Formateur à l’Atelier de la Pierre d’Angle à Saint-Maximin dans l’Oise, Frédéric Mutillod permet aux jeunes majeurs et adultes de se qualifier dans la taille de pierre. Plus que tout « de sortir du tunnel pour entrer dans une carrière ». Avec passion.

À 58 ans, Frédéric Mutillod en voit passer des hommes et des femmes au Centre de formation continue - l’Atelier de la Pierre d’Angle - d’Apprentis d’Auteuil en Picardie. « Des personnes âgées de 18 à 60 ans inscrites à la mission locale, à Pôle emploi ou des salariés en reconversion, précise-t-il. Lors d’un premier entretien, tous m’expliquent leur parcours, leurs motivations, leurs attentes. Je leur présente la formation tailleur de pierre. Une formation courte qui réunit une douzaine de personnes sur huit mois dont six semaines de stage en entreprise. Chacun, à son rythme, selon ses compétences, suit des cours de dessin, de géométrie, travaille la finesse de son coup de crayon, manie des outils traditionnels (ciseaux, gouges, maillets), mécaniques, électroniques et électroportatifs, en résumé apprend le métier au Centre de formation et l’exerce dans de prestigieuses « entreprises », le château de Chantilly, la cathédrale de Senlis, parmi d’autres. » Avec, à la clé, un titre de formation professionnelle (niveau III) du ministère du Travail, soit l’équivalent d’un CAP, la possibilité de se mettre à son compte ou de trouver un emploi dans une entreprise de restauration de monuments historiques. « Mon job ?, s’enthousiasme Frédéric Mutillod. Intéresser ces hommes et ces femmes - 16% des effectifs en moyenne - au métier : le travail non pas du béton mais des belles pierres et leur permettre d’obtenir un diplôme et/ou un emploi. »
Le formateur formule sa mission en une phrase : « Ce n’est pas parce que vous n’étiez pas à l’aise à l’école que vous ne réussirez pas dans la restauration de monuments historiques, avec un CAP ! Car lorsque l’on se passionne pour la taille de pierre, tout devient facilement assimilable. Et trouver sa voie et un emploi devient possible. » Depuis son arrivée à Saint-Maximin en 2014, il dresse le même constat : « Avec la pierre, on restaure non seulement des bâtiments mais aussi des hommes. Je les remets en confiance, leur redonne le goût d’apprendre. Ils se (re)bâtissent un avenir. » 

Un parcours d’excellence

Frédéric Mutillod se souvient parfaitement de ses 14 ans, précisément du jour où il a choisi son avenir. « En bas de chez moi à Lyon, il y avait un tailleur de pierre. Je suis rentré à la maison en disant : je veux faire tailleur de pierre. Il n’y avait que ce métier-là qui m’importait. Je trouvais mystérieux, extraordinaire de taper dans un caillou. Je peux dire que je suis tombé dans le métier à 14 ans ! » Et ce même si les portes ne se sont pas facilement ouvertes. « À l’école, j’étais archi-nul, confie-t-il. Plus aucun établissement scolaire ne voulait de moi. Un conseiller d’orientation avait dit à ma maman : « Madame, vous n’avez aucune prétention pour votre fils. Être tailleur de pierre, ce n’est pas un métier ! » Heureusement, elle ne l’a pas écouté. »
Accepté au lycée des métiers du bâtiment de Felletin dans la Creuse, l’adolescent se découvre une passion. « Le jour où j’ai compris que pour exercer le métier de mes rêves, je devais apprendre à lire, à écrire, à compter, je suis devenu une éponge. J’ai tout absorbé. J’ai obtenu le CAP et le BEP tailleur de pierre… et j’ai terminé premier de ma promotion. »
Sur sa lancée, Frédéric prépare, en deux ans, le brevet professionnel tailleur de pierre monuments historiques, une formation diplômante de niveau IV. Elle lui offre l’embarras du choix d’un emploi dans une entreprise d’excellence. « Sorti major de ma promotion, j’ai été, comme on dit dans le métier, un renard : j’ai subtilisé des savoirs un peu partout à Dieppe, à Caen, à Dijon, à Bourges, à Nice, à La Réunion, à Arles, à Paris, à Bayonne, en solitaire. »
Transmettre l'amour du métier, le goût d'apprendre, l'envie de se (re)bâtir : la mission que se donne Frédéric Mutillod © Besnard/Apprentis d'Auteuil

L’amour du métier

Après trente-cinq ans de bons et loyaux services comme tailleur de pierre, maçon, chef d’équipe, conducteur de travaux puis directeur d’agence, Frédéric Mutillod tente une autre aventure. « À 50 ans, j’ai voulu voir grandir mes enfants, reconnaît-il. Et, plutôt que sillonner le sud de la France pour réprimander celles et ceux qui ne savaient pas travailler, j’ai préféré transmettre mon amour du métier. » La suite ? Il apprend par le réseau de la restauration des monuments historiques que l’Atelier de la Pierre d’Angle qui ouvre à Saint-Maximin, en janvier 2014, cherche un formateur. « Une petite étoile - un coup de chance - est passée dans mon ciel, commente-t-il. J’ai tout de suite dit banco. J’allais pouvoir rouvrir ma caisse à outils dans une région qui regorge de gens du métier et de carrières de pierre ! »
Depuis plus de sept ans, avec le même enthousiasme, Frédéric Mutillod encourage l’un, valorise l’autre, se réjouit des petits pas comme des grandes réussites. « Le jeune désespéré, qui pense qu’il ne réussira jamais et qui, au final, décroche son examen et/ou un emploi, m’émeut autant voire plus qu’un homme ou une femme de 40 ans qui connaît le monde du travail et apprend aisément. Mais pour l’un comme pour l’autre, à chaque remise de diplôme, j’ai une larme d’émotion à l’œil, trop content pour eux. Plus que jamais, j’invite les uns et les autres à sortir du tunnel pour entrer dans une carrière. »
S’il devait se souvenir d’une seule personne revenue ou non lui annoncer qu’elle s’était mariée, était parent, Frédéric Mutillod citerait volontiers un jeune réfugié iranien. « Un compagnon du tour de France l’avait pris sous son aile Porte de la Chapelle à Paris. Ensemble, ils avaient gravé Liberté, Égalité, Fraternité, dans des blocs de pierre. Après avoir régularisé les papiers du jeune, le compagnon l’avait amené à l’Atelier car il voulait apprendre le français et le métier de tailleur de pierre. Aujourd’hui, cette personne a la nationalité française et travaille dans une entreprise de restauration de monuments historiques de l’Oise.
Comment le formateur dessine-t-il l’avenir de l’Atelier de la Pierre d’Angle ? « L’incendie de Notre-Dame de Paris le 15 avril 2019 a fait bouger les choses, avance-t-il. Tant au niveau des pouvoirs publics que du grand public, les gens se sont rendus compte que le métier de tailleur de pierre existait encore, qu’il était en tension, en conséquence il recrutait et participait à la sauvegarde de châteaux, d’églises, d’abbayes, de cathédrales… notre patrimoine commun. » 
L’Atelier de la Pierre d'Angle en quelques mots L’Atelier de la Pierre d'Angle propose aux plus de 18 ans, de se former à la restauration du patrimoine via deux formations qualifiantes : la taille de pierre et la maçonnerie du bâti ancien. L’APA propose également des chantiers d’insertion à destination de personnes très éloignées de l’emploi pour leur permettre de remettre un pied dans le monde professionnel via un contrat à durée déterminée d’insertion (CDDI) de quatre mois renouvelables et un accompagnement social et professionnel pour lever tous leurs freins personnels (santé, logement, démarches administratives, mobilité, formation, etc.). Ils et elles restaurent des sites du patrimoine et des monuments en pierre dans les villes proches de Saint-Maximin.  L’Atelier de la Pierre d’Angle bénéficie du soutien du Conseil régional des Hauts-de-France et de la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS).