Education et scolarité
07 octobre 2021

Des difficultés scolaires au décrochage, des solutions existent

Comment comprendre le décrochage scolaire, un phénomène multifactoriel qui va bien au-delà des seules difficultés scolaires ? Julien Pautot, en charge des collèges des réussites à Apprentis d'Auteuil, explique le processus et les moyens d'y remédier.

Quel est le profil des jeunes accueillis dans les établissements scolaires et de formation d’Apprentis d’Auteuil ?

Julien Pautot (c) Apprentis d'Auteuil
Julien Pautot (c) Apprentis d'Auteuil

Apprentis d’Auteuil accueille en très grande majorité des jeunes en situation de fragilité scolaire, et pour certains, en risque de décrochage ou décrocheurs. Il nous faut travailler le plus en amont possible pour éviter le décrochage et maintenir le jeune dans son groupe classe. Plus tôt le jeune est accompagné, dès les premiers signes de décrochage, grâce à une équipe en veille sur les signaux précurseurs, mieux il pourra rebondir. Certains jeunes nous arrivent alors que le décrochage est déjà enclenché, les équipes, en alerte, se mobilisent. De nombreux établissements ont mis en place des dispositifs dédiés pour accueillir ces jeunes, car ils ont alors besoin d’un suivi individualisé et d’un travail sur l’estime de soi. Plus on agit tard, plus le chemin est long et difficile pour que le jeune raccroche aux apprentissages.

 

Comment expliquer le passage des difficultés scolaires au décrochage ?

Au collège Saint-Paul de Saint-Paul-sur-Isère (73), un dispositif hors les murs animé par des éducatrices pour mettre l'école à portée des parents (c) Lucile Barbery/Apprentis d'Auteuil
Au collège Saint-Paul de Saint-Paul-sur-Isère (73), un dispositif hors les murs animé par des éducatrices pour mettre l'école à portée des parents (c) Lucile Barbery/Apprentis d'Auteuil

Le décrochage scolaire ne se résume pas aux seules difficultés scolaires. Il est la résultante de multiples facteurs. Pour résoudre cette équation, il est nécessaire de comprendre l’écosystème du jeune : le réseau des pairs, la famille, les enseignants et éducateurs autour du jeune, les politiques scolaires et éducatives.

Parmi les facteurs qui contribuent au décrochage, certains sont d’ordre socioéconomique (la précarité, le chômage etc.), d’autres d’ordre familial (climat familial, fonctionnement de la famille, rapport de la famille à l’école, difficultés psychologiques, problématiques de santé, difficultés d’acculturation ou difficultés linguistiques, événement particulier). D’autres tiennent au climat scolaire, ou aux politiques scolaires et éducatives.

Tout cela a des conséquences sur le jeune, sur sa santé mentale et physique, son comportement en classe et dans l’établissement, ses résultats scolaires, sa motivation, ses valeurs et croyances, sa projection dans l’avenir... Les difficultés scolaires sont comme un symptôme de difficultés plus larges, c’est pour cela qu’il nous faut agir au-delà d’une seule remédiation scolaire.

Comment évaluer le risque de décrochage scolaire ?

Des indicateurs sont là pour analyser en profondeur la dimension du décrochage : l’absentéisme (est-il perlé ou récurrent, y a-t-il des exclusions de cours ou pas, le jeune est-il présent à l’école mais pas en classe, bénéficie -t-il souvent d’absences excusées). Il nous faut aussi qualifier les difficultés scolaires : note-t-on une chute brutale dans les résultats ou un retard scolaire, des performances en-deçà de l’attendu, des troubles de l’apprentissage ? Si le jeune se désinvestit de l’école, comment cela se traduit-il : par un refus de travailler, une apathie en classe, un rapport distancié au savoir, un sentiment d’incompétence, une estime de soi négative, une absence de projet ? En classe et dans l’établissement, comment se comporte-t-il ? Le rapport aux autres est-il conflictuel ou non ? Observe-t-on de l’inhibition, de l’agressivité, des exclusions de cours des provocations, des signes de harcèlement ? Il y a aussi toutes les difficultés sociales et familiales que nous avons déjà évoquées, et le rapport de la famille à l’école.
 

Comment agit Apprentis d’Auteuil dans ce domaine ?

Aux établissements Notre-Dame, le dispositif DEFI accueille les jeunes décrocheurs ou en risque de décrochage (c) Jean-Pierre Pouteau/Apprentis d'Auteuil
Aux établissements Notre-Dame, le dispositif DEFI accueille les jeunes décrocheurs ou en risque de décrochage (c) Jean-Pierre Pouteau/Apprentis d'Auteuil

Apprentis d’Auteuil travaille sur cette analyse de l’écosystème et des causes multifactorielles du décrochage scolaire depuis une dizaine d’années. Nous pensons que le décrochage scolaire ne doit pas être perçu comme une fatalité, mais être analysé en termes de parcours du jeune, de processus. Pour le résoudre, il nous faut l’aborder sous différents angles : le soutien à la parentalité, le rapport avec les enseignants et les éducateurs, le climat scolaire.

Concernant le soutien à la parentalité, nous devons créer les conditions pour faire revenir les familles dans l’école, dans la mouvance du « penser et agir ensemble ». Très concrètement, cela suppose des lieux d’accueil, des espaces de parole, une présence au conseil de classe, une consultation sur le projet d’établissement, la pédagogie... Des établissements comme le collège Saint-Philippe, à Meudon, ou Vitagliano à Marseille, ont fait travailler les jeunes et les familles sur le projet d’établissement. Le collège Saint-Paul, à Saint-Paul-sur-Isère, a lancé un dispositif hors les murs : deux éducatrices (deux mi-temps) vont au-devant des parents. Le collège Saint-Jacques de Fournes-en-Weppes a créé un réseau de pairs. L’accueil des nouveaux élèves et de leur famille et la visite de l’établissement sont conduits par des élèves de 4e.

Toutes ces expérimentations contribuent à un meilleur climat scolaire et au renouveau de la confiance des familles. Un travail qui demande du temps, de la réflexion, des initiatives et de l’approfondissement.

Et concernant les professeurs et éducateurs ?

Il nous faut créer les conditions pour qu’ils puissent, ensemble, réfléchir au processus et au chemin du jeune, avoir un regard croisé entre professionnels sur chaque jeune, et à disposition, des outils d’observation pour mieux prévenir le décrochage.
Le climat scolaire joue aussi pour beaucoup, ainsi que la qualité des relations élève/professeur/éducateur. Si le jeune se sent sécurisé, ses compétences valorisées, il pourra davantage se mobiliser. Plusieurs pistes et expérimentations sont en cours, et certaines depuis des années, comme la médiation scolaire grâce à des binômes jeune-adulte formés à cette pratique, ou, plus récemment, la co-intervention de deux professeurs en classe (par exemple au collège La Hublais à Cesson-Sévigné). L’idée est aussi de renforcer le sentiment d’appartenance à l’établissement, à l’institution. Et de nouer davantage de partenariats avec l’enseignement catholique sur des sujets de fond autour des publics fragiles, comme « Le laboratoire des initiatives » qui regroupe des enseignants, des directeurs d’établissements, des directeurs diocésains.