Education et scolarité
11 octobre 2021

Collège Nouvelle Chance du Mans : une main tendue aux décrocheurs

Au Mans, le collège Nouvelle Chance accueille depuis 2014 des jeunes en rupture d’école, déscolarisés parfois depuis des mois. De 20 à 30 jeunes décrocheurs bénéficient d’un suivi sur-mesure pour reprendre goût aux apprentissages, renouer avec la confiance, et surtout se réconcilier avec eux-mêmes et avec les autres.

Petits effectifs, ateliers variés, emploi du temps aménagé, du sur-mesure pour chaque élève (c) Michel Le Moine/Apprentis d'Auteuil
Petits effectifs, ateliers variés, emploi du temps aménagé, du sur-mesure pour chaque élève (c) Michel Le Moine/Apprentis d'Auteuil


Cette semaine d’octobre, Maël entame sa rentrée scolaire au collège Nouvelle Chance du Mans. Une rentrée en douceur, puisque l’adolescent de 12 ans, bientôt 13, n’y passera dans un premier temps que les matinées. « J’ai fait 3 collèges en deux ans, explique-t-il, je me suis fait virer du dernier. Je n’arrivais plus à suivre, mes notes chutaient. Maman a vu que je commençais à décrocher (mon père n’habite pas avec nous). Je n’arrivais plus à aller en cours, à me lever, écouter, travailler, me concentrer. Ma mère s’inquiétait pour moi. Elle connaissait ce collège et voulait que j’y aille. »
Dans la classe ce matin, ils sont trois en cours de mathématiques. À l’invitation de Céline Roquet, la professeure, Mohamed et Alexandre expliquent au nouveau venu comment se passent les cours et où ranger ses affaires. La séance débute par l’énigme. Cette fois-ci, une suite logique de chiffres dont il faut découvrir la fin. Le gagnant aura le droit de piocher dans un sac de friandises... Chacun est encouragé à s’exprimer, des indices sont livrés. Maël montre timidement l’ardoise où il a marqué sa réponse. Pas de chance, ce n’est pas cela. C’est Alexandre, 13 ans, qui trouve la solution.
Dans une atmosphère à la fois studieuse et détendue, Maël s’attelle à la fabrication d’un "penta-aide" en papier cartonné. Colorié en rouge, orange, vert, il lui servira dans l’année à demander de l’aide à ses camarades ou à son professeur. Plus tard dans l’année, la professeure animera des séances de cuisine moléculaire, travaillera avec l’association Les petits débrouillards, proposera de réaliser des petits films en stop-motion, avec des sujets en pâte à modeler ou en lego. Du ludique, du concret, de l’inédit pour apprendre sans s’ennuyer ni angoisser. « Je voudrais me remettre au travail, mais je ne sais pas encore si j’arriverai à m’habituer ici, confie le garçon dans un souffle. Il faudrait que je m’y sente bien. »

Un collège unique en son genre

Unique à Apprentis d’Auteuil, le collège Nouvelle Chance a fait de l’accueil et de l’accompagnement des décrocheurs scolaires sa spécialité. Orientés par les principaux des collèges du Mans, de sa banlieue et de toute la Sarthe, et admis après une commission en lien avec l’Inspection académique à trois moments clés de l’année (septembre, rentrée de la Toussaint et janvier), les jeunes collégiens bénéficient d’un suivi sur-mesure, en fonction de leur situation. Autant de profils que de jeunes. La moitié fait déjà l’objet d’un suivi social, soit à leur domicile soit en placement en famille d’accueil ou en Maison d’enfants à caractère social. L’absentéisme n’est qu’un des symptômes du décrochage. Beaucoup éprouvent un profond malaise dans le système scolaire classique, où ils peinent à s'intégrer, et souffrent de problèmes sociaux et familiaux.
« Ici, souligne Chantal Delafosse, la directrice, le niveau scolaire n’est pas forcément notre priorité. Il y a un blocage, et pas parce qu’ils sont mauvais. Nous devons faire avec eux un gros travail sur l’estime de soi, le respect de l’autre, le vivre-ensemble. Nous avons quelques prises en charge d’orthophonie. Le but est de les emmener au brevet des collèges série professionnelle ou au certificat de formation générale (CFG). » Le travail avec les parents est essentiel. Sans alliance, difficile de mobiliser durablement les jeunes. « Nous travaillons de façon étroite avec la famille. Certains sont très investis et voient l’établissement comme une chance, d’autres, beaucoup moins. »

Apprendre à s'apaiser

Dans une salle proche, deux professeurs, Maëlle Simon, professeur d’arts plastiques et Jérémie, professeur de SVT, animent la séance suivante. Après la lecture à voix haute d’un récit sur la naissance du monde, les jeunes s’attellent à leur travail sur l’œuvre du Caravage, Petit Bacchus malade, qu’ils réinterprètent en collages.
Raïs, 13 ans, est au collège Nouvelle Chance depuis le mois de février : « Dans mon ancien collège, ça se passait mal. Je ne travaillais jamais, je parlais mal aux profs, j’étais tout le temps en retard. Je ne faisais que des bêtises et je n’écoutais rien. J’ai été viré. Maman m’avait prévenu, je ne la croyais pas, je pensais qu’elle disait cela pour que je me calme et pour me faire peur. Je suis venu ici car je n’avais pas le choix. »
Le garçon, quelques mois après, est satisfait. Il a retrouvé deux copains de son quartier et cette présence amicale le rassure, de même que les liens avec l’équipe. « Ça se passe bien. J’aime bien l’ambiance. On est peu nombreux. Les profs sont plus à l’écoute. Si on est énervé, on peut sortir. L’objectif pour moi est d’améliorer mon comportement, d’apprendre à me connaître et de me remettre à travailler. J’ai compris qu’il fallait que j’arrête. L’année prochaine, je souhaiterais aller dans une 3e prépa des métiers. L’école ce n’est pas un truc que je veux continuer, mais il faut être cultivé. Je veux apprendre un métier. Ma mère m’a dit que j’ai déjà beaucoup changé. Car même chez moi, je m’énervais trop. Ça m’a fait du bien d’être ici. »

Du sur-mesure pour raccrocher

Une équipe soudée, professeurs-éducateurs, pour entourer chaque jeune et insuffler estime de soi et confiance (c) Michel Le Moine/Apprentis d'Auteuil
Une équipe soudée, professeurs-éducateurs, pour entourer chaque jeune et insuffler estime de soi et confiance (c) Michel Le Moine/Apprentis d'Auteuil

L’emploi du temps souple et sur-mesure pour se réhabituer aux horaires et au cadre, le rythme - cours le matin, entrecoupé de deux récréations, et ateliers l’après-midi - le travail en binôme d’enseignants, la présence d’éducateurs : tout le projet est pensé pour que le jeune se sente entouré, compris, soutenu, que la confiance et la motivation puisse renaître.
David Vivet, éducateur, est entré dans l’équipe en septembre : « Ma seule motivation, ce sont les enfants, je voulais travailler auprès de jeunes en difficulté. Ils n’ont pas les codes et ont du mal à se canaliser. Nous travaillons par exemple les CV, les lettres de motivation, certains vont partir en stage. Le but est aussi de mettre en avant leurs qualités, leurs expériences. »
L’équipe, faite d’éducateurs et d’enseignants tous volontaires, est un élément clé du dispositif. « Quand je reçois un candidat, je préviens : vous allez être malmenés, explique la directrice. Ici, il n’y a pas 18 h de cours et 18 h de préparation, mais beaucoup de présence en plus dans l’établissement, car il y a besoin de relecture et de partage entre professionnels. Les jeunes nous interpellent à la fois sur nos connaissances et sur ce que nous sommes. »
En ligne de mire, dès l’admission, la difficile réadaptation à un autre établissement, qui fait partie du projet, que ce soit dans un autre collège, vers une 3e prépa des métiers, un lycée professionnel ou la mission locale. « Ils arrivent en disant, je n’ai pas le choix, c’est ma dernière chance. Et vivent parfois mal leur départ car c’est cocooning ici. Mais il n’est pas rare qu’ils reviennent nous voir ensuite, juste pour le plaisir de nous dire bonjour et nous donner de leurs nouvelles, quelque soit leur devenir », conclut Chantal Delafosse.